LE PÈRE NOËL EST UN ENFANT

« Papa, c’est pour toi ! »

Le petit garçon tient un petit sac de toile blanche noué d’un ruban rouge.

– Chouette, un cadeau, dit le père. Merci mon chéri.

– Un cadeau du père Noël ! rectifie l’enfant en levant un index…

Le père défait le ruban avec précaution, écarte les pans du tissu. Il prend un air déçu, désolé, mais gentil :

– Ah, mais ça, merci, seulement… il n’y a rien dans ton petit sac mon chéri !
– Regarde bien ! dit le fils.
Le père voit quelque chose en effet au fond du sac. Quelque chose de tout petit, quelque chose de tout blanc. C’est un petit grain de sable blanc.
– Un petit grain de sable blanc, dit-il, comme c’est gentil ! C’est, comment dire… un très joli cadeau ! Merci mon chéri.

Il renoue le sac, le fourre dans sa poche et reprend la lecture de son journal.

Le père de l’enfant est un père tout ce qu’il y a de plus ordinaire en matière de père. Un père comme tous les pères en somme, avec des poils noirs sur la tête, et une pipe à long bec. Un père qui lit le journal et croise les jambes quand il s’assoit.

– Il y a aussi une graine de courge !
– Une graine de courge ? Comment donc ?
Il reprend le petit sac de toile blanche dans sa poche. Il l’ouvre nouveau et se frotte le crâne. Comment avait-il pu ne pas la remarquer cette graine de courge ? C’était une graine de courge tout ce qu’il y a d’ordinaire. Grillée, salée. Une graine de courge.
– Mange-la, lui dit son fils.
Il se trouve que le père adorait les graines de courges.
Il plonge alors la main dans le sac.
A côté de la graine de courge, et du petit grain de sable tout blanc, il sent, sous ses doigts, comme une forme un peu dure, pas tout à fait la forme d’une graine de courge, plutôt la forme d’un soldat de plomb. Et à côté du soldat de plomb, il sent qu’il y a une forme, qui semble être la forme d’une balle de ping-pong.
Il referme le sac et il regarde son fils.

L’enfant ne dit rien. Il regarde son père.
C’est un enfant tout ce qu’il y a d’ordinaire, un enfant avec des poignets charnus et des poils blonds sur la tête.

Le père baisse les yeux.
Cette fois du fond du sac lui parvient la lumière d’une lanterne rouge qui clignote et l’éblouit. Il est surpris d’entendre une sorte de petit hennissement.
Il interroge l’enfant du regard : Un cheval ?
L’enfant sourit.
Un petit cheval blanc se cabre au fond du sac. C’est à peine s’il se distingue car sa robe se confond avec la blancheur de la toile.
Le père regarde le fils qui regarde son père. Alors le père demande à son fils :
– Tu permets ?
Le père enfourne sa tête toute entière au fond du petit sac. Et comme il fait assez sombre au fond du petit sac, le père tout d’abord ne voit rien.

Peu à peu, une lande de sable apparait. Sur cette lande, un homme assoiffé marche, avec, dans le lointain, une oasis et des chameaux. L’Algérie ! pense le père.
Puis, une valse de Vienne s’élève. Et tout un orchestre apparaît.

Dans un coin du sac, un canard pleure. Il a faim. Il est blotti contre un saule, qu’il prend pour sa mère.
L’arbre désolé, répète sans cesse en remuant ses branches :
– Je n’ai que des feuilles…! Je n’ai que des feuilles…!
– Qu’est-ce qu’on peut faire ? crie le père à son fils hors du sac.
– Je ne sais pas…
Un paysan approche sur un tracteur. Une aube dans le lointain se lève. Un vieux parchemin écrit en araméen roule jusqu’aux pieds du père.
Une machine à laver, dans un coin, essore comme une folle du linge rouge qui tournoie.
La tête du père, toute en sueur et décoiffée, sort du sac.
Le fils est dans son fauteuil. Il lit son journal.
– C’est trop. C’est beaucoup trop, dit le père.
L’enfant prend un air satisfait.
– As-tu seulement vu les mouches ?
– Les mouches ? Quelles mouches ?
– Les mouches, répond le fils.

Une femme blonde est là au fond du sac, qui attend. Elle a des yeux d’émeraude et se brosse les cheveux.
Un garagiste, qui aime la couleur de ces yeux, se tient à distance, poings sur les hanches. Des lumières, dans le ciel, écrivent le mot CIEL dans le ciel. Des mouchoirs sur la gauche ont l’air agités. Et comme le père remarque des gens qui se tiennent les côtes, le père crie pour demander à son fils pourquoi est-ce que ces gens rient. L’enfant répond en criant d’une voix lointaine :
– C’est sans doute parce-qu’ils sont contents !
Alors, le père, apercevant, non loin, des gens qui dorment, en déduit par lui-même qu’ils doivent avoir sommeil.

Ensuite, il y eu des éléphants. Une parade d’éléphants. Des girafes. Des crocodiles qui se curent les dents avec des branches, des branches de saules. Des artistes, sur leur trente et un, saluant, debout sur la scène, tandis que, debout tout autant, applaudit une salle toute acquise.

Enfin les mouches apparurent.
Parlant entre elles, murmurant. Des choses. En arabe. Le père comprenait l’arabe. Elles disaient du mal dune cigogne qui se grattait les genoux. « Pauvre cigogne, vous avez vu ses genoux !? » disaient-elles, les mouches, en arabe. Mais la cigogne s’en fichait car elle n’avait d’yeux que pour un ver de terre, dans la terre, un pauvre ver de terre qui n’osait plus, de ce fait, sortir de chez lui. Il se terrait.

Et puis ce fut la Terre, la Terre toute entière, qui tournait sur elle-même et jetait des écharpes de gaz dans l’univers bleu et rose. Et dans l’univers, il y avait lui, le père, qui contemplait ces merveilles, toutes ces merveilles contenues dans un petit sac, et dehors, il y avait le fils, assis au fond du fauteuil, le fils qui avait maintenant des poils noirs sur la tête, et qui croisait les jambes, comme un père.

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