Désir des autres

Il lui arrivait souvent d’observer les familles, les couples au cinéma, avant le noir ; dans le bus, le métro, essayant de comprendre ce qu’il se passait entre eux : les non-dits, les regards, les rapports de force ou de tendresse.

Et souvent il ne pouvait s’empêcher d’établir un parallèle avec sa propre vie, avec son propre couple, avec sa propre histoire…

Un homme, une femme, dans un lieu public, offraient souvent l’image d’une relation qui lui semblait idéale. S’il voulait bien se contenter des apparences.

Ils s’écoutaient, ils se regardaient, avec tendresse, avec complicité, ils ne se coupaient pas la parole. Il flottait dans leurs regards un sentiment de bienveillance mutuelle. Nul malaise entre eux, nul non-dit, nul contentieux.
Il se pouvait donc, se disait-il, qu’un homme, qu’une femme s’entendent ainsi naturellement, sans heurt, sans drame, sans jalousie ?
Mais, aussitôt, il ne pouvait s’empêcher de penser – comme pour se consoler sûrement – qu’il était, là, victime d’une image, d’une illusion peut-être ; que toute simplicité n’était qu’apparente, que son idéal d’harmonie n’était qu’une vue de l’esprit, que ces instants volés aux autres, ces instants fugitifs, ne donnaient à voir qu’un moment précis, éclairé par son désir à lui de croire qu’il existe du bonheur quelque part. C’était comme un instantané, saisi au meilleur instant, une photo, un cliché qui ne disait rien de l’avant, qui ne disait rien de l’après. Il pensait peut-être que son désir de bonheur, son désir d’harmonie illuminaient la scène, que c’était la lumière qui était belle et non pas ce qu’elle éclairait.

Mais si, comme c’était souvent le cas, la photo en effet était bonne, et qu’il assistait muet à une scène de bonheur conforme à ses voeux, il ne pouvait douter alors de sa véracité, et il se désespérait… Il se désespérait car ce bonheur-là, tout simple, lui semblait hors de portée, interdit, inaccessible.
Seule, restait, une infime part de lui-même qui ne s’en laissait pas conter, qui se prenait à douter, qui se disait que tout cela n’était qu’illusion, projection du désir ; que ce couple, cet homme et cette femme, à l’instant où il les admirait, étaient simplement photogéniques.

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